J'ai eu la chance de participer à la 17ème édition des Rencontres Economiques d'Aix-en-Provence en juillet 2017 en tant que gagnant au concours La Parole aux Etudiants. Chaque année, Le Cercle des économistes, organisateur des Rencontres, récompensent 100 étudiants pour leur réflexion sur un thème donné. En 2017, les trois jours de débats économiques à Aix-en-Provence s'articulaient autour "des nouvelles formes de prospérité". Voici le texte qui m'a permis de faire parti des 100 étudiants sélectionnés.
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Le citoyen Providence
En mars 2017, les anciens de l’entreprise Fralib fêtaient avec joie les bons résultats de leur nouvelle marque appelée 1336. Fralib, c’était cette entreprise de tisanes et de thé, implantée près de Marseille et menacée de délocalisation en Pologne par son propriétaire, le géant Unilever, malgré les bénéfices du site. Après 1 336 jours de grève, les salariés ont pu conserver les machines et le site pour créer leur propre marque d’infusion en 2013. Aujourd’hui, 1336 est distribué sur l’ensemble du territoire. Comment cette réussite est-elle possible ? Grâce aux technologies de l’information et de la communication. Les salariés grévistes ont bénéficié d’un large soutien sur les réseaux sociaux et leur projet de sauvetage de leur savoir-faire à entraîner un large élan de solidarité. 1336 compte entretenir cette image de lutte pour augmenter les ventes, seule condition pour pérenniser l’activité. Les consommateurs ont donc le pouvoir de décider de préserver une activité là où la puissance publique préférait se résigner. Si désormais dans le secteur économique « l’Etat ne peut pas tout », les citoyens, eux, semblent prendre le relais.
Depuis la fin des Trente Glorieuses et le démembrement progressif des bras économiques de l’Etat, la prospection économique a été remise entre les mains des acteurs privées. Mûs par la seule recherche de leurs intérêts individuels, les agents économiques engendrent la prospérité générale par addition des réussites économiques de chacun. Un calcul simple et implacable mais qui annonça la mort de l’Etat Providence dans une lente agonie. Plus besoin d’un Etat pilote, les acteurs économiques iront par eux-mêmes vers d’avantage de prospérité et la création de richesse serait incomparable. Même si cette dernière promesse a été tenue – la France n’a jamais été aussi riche – les inégalités ont explosé et le plein emploi n’existe plus. En 2017, seuls 21 français détiennent la moitié des richesses du pays. De plus, les grandes entreprises françaises de taille mondiale sont toutes nées sous une impulsion publique pendant les Trente Glorieuses. Il en est de même pour les infrastructures qui façonnent toujours notre pays.
Mais ces dernières années, les nouvelles générations refusent de subir l’absence de choix économiques nationaux. A l’instar des anciens de Fralib, si l’impulsion ne vient plus d’en-haut, alors elle partira désormais d’en bas. Ce n’est pas un mouvement inédit en France. Dans les années 70, les ouvriers de l’horloger bisontin LIP ont eux aussi refuser la liquidation de leur usine. Dans cette affaire restée célèbre, les salariés sont devenus propriétaires de l’entreprise pour continuer la production de montres. Malgré l’appui de la population et des manifestations de soutien, les LIP – comme on les appelait – ont dû abandonner leur activité. La différence avec Fralib ? Les technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, les réseaux sociaux se seraient emparés de l’affaire LIP et la marque des ouvriers auraient surfées sur l’image de résistance économique.
Les nouvelles générations ont développé une nouvelle façon de penser la prospérité économique, différente de celle de leurs aînés. Ceci grâce à une chose essentielle : la connectivité. Le développement d’internet, des réseaux sociaux, du big data et de l’accès et l’échange des informations ont fait naître un nouveau monde. Nous sommes dans l’ère de la connectivité. Toutefois, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ne sont – en fait – pas si nouvelles que ça. Internet a plus de 20 ans, les smartphones et le haut débit ont, eux, une dizaine d’années. Ce n’est plus seulement un phénomène dont on imagine les conséquences, mais d’une nouvelle société qui a totalement intégrée la connectivité dans son mode de fonctionnement.
Alors qu’est-ce qui caractérise cette nouvelle génération de l’ère de la connectivité ? Les individus sont en lien en permanence les uns envers les autres : réseaux sociaux, partage de l’information, création de groupes d’affinités, forums d’entraide et de discussion. Internet est devenu une supra agora mondiale. L’autre caractéristique de l’ère de la connectivité est l’accès aux informations, aux savoirs, aux données. Nous avons tous dans sa poche des millions de milliers d’informations. Plus fort encore, les réseaux permettent également d’accéder aux techniques avec les promesses faites par les imprimantes 3D. N’importe qui pourra réaliser des constructions complexes qui normalement nécessitent une réalisation par un être humain et des données de savoir manuel qui jusque-là paraissait la limite dans le partage d’information sont désormais téléchargeables sur une petite clé USB. Il est possible de construire une maison, une voiture, une œuvre d’art en ouvrant un fichier et le lancer dans mon imprimante trois dimensions.
L’ère de la connectivité ne se caractérise pas seulement par un changement de nos comportements sociaux. Il y a aussi un changement des comportements économiques. Connectés et informés en permanence, les jeunes individus qui maîtrisent ces technologies peuvent désormais décider d’une nouvelle économie. Les anciennes bases de ce qui était définie comme prospérité économique sont remises en question, elles sont même rejetées par de plus en plus de jeunes. Par exemple, le rapport à la propriété a changé, comme la volonté de consommer intelligemment, localement et non plus seulement au prix le plus bas. Comment expliquer le lien entre l’intégration complète de ces technologies au sein des nouvelles générations et la prospection économique ? Avec les ordinateurs et les smartphones, tout le monde a accès à tout, tout le temps, partout, sans limite. Chaque seconde des milliers de nouvelles informations sont mises en ligne. Informés et ayant la capacité de se rassembler en groupe d’intérêts, les individus peuvent faire de la prospection économique ensemble. Les Citoyens Providences succèdent donc à l’Etat Providence. Agriculture, énergie, distribution, et même industrie, il existe de nombreux exemples de ce changement.
A cause des problèmes de surproduction et de pollution, le secteur agricole a dû se remettre en question. La nouvelle génération rejette le productivisme et depuis une dizaine d’année se développe sur l’ensemble du territoire un nouveau mode de production. Partout en France, des jeunes entrepreneurs se reconvertissent dans le secteur agricole avec comme projet une agriculture nouvelle, plus proche de son environnement. C’est notamment le cas avec les Fermes d’avenir créées par Maxime de Rostolan. Connecté à la fois à un réseau avec d’autres producteurs et avec les consommateurs, l’agriculteur peut court-circuiter les circuits classiques de la distribution. L’innovation technologique de la communication a donc des conséquences sur le type de production agricole. Mais aussi grâce à l’échange de savoir en jeunes paysans connectés. Ce renouveau agricole et de la distribution n’a pas été décidé par une impulsion publique nationale. Les acteurs se sont retrouver grâce aux réseaux, ont partagé leurs connaissances pour créer des projets communs de fermes solidaires. Il s’agit bien d’une prospection économique par le bas.
Le secteur de l’énergie pourrait bénéficier de la même transformation. En France, la production de l’électricité part de grosse unité – essentiellement nucléaire – est l’héritage direct des politiques nationales de l’Etat Providence. Toutefois les études le prouvent, les moyens de production de l’énergie renouvelable les plus efficaces sont les petites unités, comme des éoliennes de toit, des panneaux solaires sur un gymnase, de la géothermie pour tout un quartier. Des initiatives nécessairement locales que la puissance publique ou les acteurs économiques historiques du marché de l’énergie ne savent pas prendre en compte. Ainsi, la société française Newwind espère voir pousser ses « arbres à vent » dans tous les jardins français.
Le meilleur exemple de la prospection économique citoyenne est sans doute celui des usines. La France a subi une désindustrialisation importante depuis la fin des Trente Glorieuse et le coup de grâce a été apporté par la dernière crise économique de 2008. Malgré des plans de relances très ponctuels par de l’argent public, l’Etat s’est montré impuissant. Mais des consommateurs citoyens et des salariés ont refusé de voir disparaître le tissu industriel français. L’exemple le plus emblématique est certainement l’industrie du textile. Des marques ont tout misé sur le fameux Made in France pour maintenir leur activité. Chose impensable il y a quelques années, de nouvelles entreprises textiles sont mêmes nées, comme le Slip français. Si le secteur textile a pu se maintenir c’est, d’une part grâce à l’utilisation des réseaux sociaux pour développer leur gamme facilement et créer un engouement auprès du public ; mais c’est aussi d’autre part grâce à la réaction positive des consommateurs. Ces derniers sont prêts à payer plus cher des vêtements par ce qu’ils sont produits en France. Egalement, d’anciens salariés d’usines de textile délocalisés ou en liquidation refusent leur sort et utilise les technologies de la communication et de l’information pour maintenir leur activité. C’est le cas par exemple de société de lingerie Maison Lejaby. Les français se disent également d’accord pour acheter une voiture plus chère si elle est produite en France, et soutenir directement les unités de production dans l’hexagone. Il s’agit bien d’une prospection économique citoyenne.
Il y a toutefois une limite à la prospection économique citoyenne. Il paraît compliqué d’imaginer une politique de prospection économique qui demande des aménagements considérables, par exemple une nouvelle ligne de chemin de fer ou la construction d’un pont. Un plafond technique qu’il semble difficilement franchissable. Les projets d’envergure semblent donc écartés de ce nouveau modèle de prospérité économique. Ironie du sort, les installations techniques qui supportent les technologies de l’information et de la communication nécessitent de gros investissements et des travaux entreprit uniquement par la puissance publique. Câbles, data center, satellites, normes internationales de communication : tout cela ne peut être mis en place qu’à une échelle nationale et mondiale. On voit mal un nouveau Concorde volée suite au travail d’une collaboration de citoyens connectés. Toutefois, aux Etats-Unis des premières entreprises privées réalisent désormais des prouesses spatiales comme la première fusée qui ré-atterri sur sa base de lancement. Pour cela la société SpaceX fait régulièrement appel au financement collaboratif pour développer ses projets futuristes. C’est le cas de l’Hyperloop où les internautes étaient invités à donner de l’argent pour développer ce train à 1 000 km/h.
Avec le financement participatif, la prospection économique citoyenne a donc aussi son mot à dire dans les secteurs technologiques les plus avancées et complexes. Si la prospérité économique peut désormais venir de chaque jeune citoyen connecté et informé, assistons-nous peut-être à la naissance d’une nouvelle génération de petits Colbert…
En plus de la participation aux trois jours de débats à Aix-en-Provence, La parole aux Etudiants organise des sessions de discussion en petit groupe d'étudiants. J'ai pu échanger avec le philosophe et chercheur américain Francis Fukuyama, ainsi que l'aventurier franco-suisse Christian Clot.
Egalement, le député Cédric Villani, mathématicien et récipiendaire de la Médaille Fields, a inauguré la session consacrée aux étudiants.

Cédric Villani (C.STANGHELLINI-DR)
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