STRATÉGIE - D'après Richard Ferrand, la "dette [de la France] coûte par jour 110 millions d'euros." D'où sort ce chiffre ? Les craintes budgétaires du président de l'Assemblée nationale sont-elles fondées ?
[Enquête réalisée pour LCI et publiée le 3 avril 2019]
Le 2 avril, Richard Ferrand s'est montré très inquiet de l'état de l'endettement de la France. D'après ses déclarations, "notre dette nous coûte par jour 110 millions d'euros, le budget de l'Elysée sur un an." Avant de rajouter : "On ne peut pas vivre à crédit éternellement ! Depuis 1974 on vit à crédit."
Voilà donc quarante-cinq ans que la France mène un train de vie (bien) au-dessus de ses moyens ?!
La France vit-elle à crédit depuis 1974 ?
C'est vrai. Le dernier budget positif de l'Etat français remonte à cette année de 1974. Cela signifie que durant cet exercice-là, les recettes publiques étaient supérieures aux dépenses. La France n'avait pas besoin d'emprunter pour couvrir ses besoins. L'excédent budgétaire était de 8,5 milliards de francs, l’équivalent de 6,7 milliards d’euros d'aujourd’hui si on tient compte de l’inflation.
1974 n'était pas la première année où les recettes étaient inférieures aux dépenses publiques. Ce fût déjà le cas en 1968, 1969 et 1971.
Dépense-t-on l'équivalent de 110 millions d'euros par jour juste pour la dette ?
D'après le président de l'Assemblée nationale, ces 110 millions d'euros dépensés quotidiennement correspondent à l'équivalent du budget annuel de l'Elysée. Nous pouvons tout de suite lui indiquer qu'il se trompe. En 2019, le budget attribué au Palais présidentiel représentait 108 millions d'euros. Richard Ferrand commet donc une erreur de... 2 millions d'euros.
Alors d'où proviennent les 110 millions d'euros évoqués par Richard Ferrand ? Sans doute de "la charge de la dette". Lorsque la France emprunte de l’argent, des intérêts sont appliqués sur les sommes prêtées, qu'elle se doit de rembourser. C'est l’ensemble de ces intérêts que l'on appelle "la charge de la dette".D’après le projet de loi de finances de 2019, la charge de la dette est de l'ordre de 42 milliards d’euros. Si on divise cette somme par 365 jours, cela correspond à 115 millions d’euros. Dans sa sortie chez Jean-Jacques Bourdin sur RMC, Richard Ferrand minore donc de 5 millions d'euros.
Cette seule charge de la dette représente 10,5% du budget total de l’Etat, soit rien de moins que le quatrième poste de ses dépenses ! A titre de comparaison, pour 2019, le budget de la justice est 7,3 milliards d'euros et le budget accordé à la défense de 40 milliards d'euros.
Comment s'effectue le remboursement de la dette ?
Contrairement à de nombreux raccourcis qui peuvent être effectués, il n'est pas possible de comparer un particulier qui emprunte pour acheter une maison et un Etat qui a un besoin financier. La France ne frappe pas à la porte des banques pour demander de l'argent, elle émet ce que l'on appelle des "obligations" sur les marchés financiers.La grande différence entre les emprunts des particuliers et les obligations réside dans le remboursement. Prenons l'exemple suivant : la France a besoin de 10 milliards d'euros. Elle émet alors une obligation de 10 milliards, à 1% d'intérêt et à échéance de 10 ans. Entre 2019 et 2029, l'Etat ne versera au prêteur que les intérêts, soit ici 100 millions d'euros par an pendant 10 ans. Ce n'est qu'à la fin de l'obligation, en 2029, que la France versera au prêteur les 10 milliards d'euros. Elle verse alors tout en une fois et émet généralement une nouvelle obligation équivalente.
Or, il est nécessaire de rappeler que la France emprunte à des taux négatifs, et ce jusqu'à des obligations d'une durée de remboursement de 5 ans, comme on peut le voir sur les taux mis à jour par la Banque de France. Si les prêteurs acceptent ainsi des taux négatifs - et donc de perdre "un peu" d'argent - c'est parce que notre pays est considéré comme une valeur refuge, un placement sûr comparé à d'autres Etats, en raison notamment de son nombre d'actifs, à travers son patrimoine, ses infrastructures publiques, l'épargne détenue par les Français... Par exemple, le 10 décembre 2018, lorsqu'Emmanuel Macron a annoncé les mesures fiscales et sociales d'urgence face à la crise des Gilets Jaunes, ces 10 milliards d'euros de dépenses publiques en plus n'ont pas fait bouger d'un iota le marché des obligations, où les taux d'emprunt de la France sont restés à leur bas niveau.
La dette, une catastrophe économique pour la France ?
En 2019, la dette publique rapportée au PIB va encore augmenter, pour atteindre 98,7% du PIB. C'est un niveau jamais atteint depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, si aujourd'hui la dette frôle les 100%, ce n'est pas seulement dû à un excès de dépenses publiques, mais aussi à une activité économique plus timide ces dernières années. En effet, lorsque la croissance de l'économie est plus forte que la croissance de la dette, alors le pays se "désendette" malgré un déficit.
Ainsi, avec une valeur de dette constante, une hausse des créations de richesse ferait que, mécaniquement, le poids de la dette s’allégerait. Une perspective positive partagée par la Banque de France qui table sur une baisse constante de la charge de la dette française.
[Enquête réalisée pour LCI et publiée le 3 avril 2019]