FAKE NEWS – Les propos d'un médecin largement relayés sur Twitter pourraient laisser entendre qu'un nouveau décret permet aux soignants d'administrer des doses létales d'un médicament aux malades du coronavirus pour abréger leur vie, notamment dans les Ehpad. Le décret existe bien mais il ne permet en rien l'euthanasie. Trois médecins décryptent le texte pour LCI.
[Article écrit pour LCI et publié le 4 avril 2020]
L'emballement a commencé après le témoignage du chirurgien Joseph Hardy sur Radio Shalom le 1er avril. A l’antenne, le médecin s'inquiétait de nouvelles règles sur l'administration d'un médicament appelé Rivotril. Son passage a notamment été tweeté par le député RN Gilbert Collard et, depuis, il est largement partagé.
Le Dr. Hardy a de nouveau pris la parole, sur la même station, le 2 avril pour répondre aux questions des auditeurs inquiets de ce qui pouvait être compris comme un assouplissement des dispositifs médicaux entourant la fin de vie. Le site internet AgoraVox a même affirmé : "le gouvernement autorise [...] un puissant sédatif à fin d’euthanasie des malades atteints du coronavirus". Une affirmation fausse qui a même déclenché la colère de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG). "Il ne s’agit absolument pas d'un cautionnement de l’euthanasie !", a réagi son président Olivier Guérin, professeur de gériatrie au CHU de Nice dans un communiqué. "Dans cette crise majeure et angoissante que nous vivons, nous ne pouvons laisser véhiculer de tels messages qui laisseraient entendre que nous euthanasions nos aînés."
LCI a sollicité l'éclairage de la Direction générale de la Santé et de trois médecins spécialistes du sujet : le Dr. Vincent Morel, pneumologue, responsable du service de soins palliatifs au CHU de Rennes et ancien président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), le Dr. Fabrice Michel, professeur en anesthésie-réanimation à Marseille et secrétaire du Comité d'éthique de la SFAP et le Dr. Gaëtan Gavazzi, gériatre et infectiologue au CHU de Grenoble.
De quel décret parle-t-on ?
Il s'agit du décret du 28 mars 2020 'prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire' pris par le Premier ministre et le ministre des Solidarités et de la Santé. Le texte, qui ne comprenant que deux articles, complète un premier décret pris le 23 mars 2020 .
Le nom du médicament Rivotril est évoqué au sein du 3° du premier article et les dispositions du décret s'appliqueront jusqu'au 15 avril. Le paracétamol sous une forme injectable est également mentionné.
Qu'est-ce que le Rivotril ?
"Le Rivotril est un très vieil antiépileptique, utilisé encore aujourd’hui lors de crise importante, explique le Dr. Gaëtan Gavazzi. Ce médicament fait partie des benzodiazépines, pouvant également être prescrit comme antalgique. Il sert aussi aux patients atteints du syndrome du membre fantôme qui ressentent des douleurs de membres amputés."
"C'est un médicament courant qui peut s'administrer par voie orale ou sous-cutanée via une piqûre, complète le Dr. Fabrice Michel. L'administration par intraveineuse a lieu dans de rares cas, comme lors d'une crise de convulsion ou comme sédatif pour un patient en souffrance." La description du Rivotril est accessible sur la Base de données publiques des médicaments.
Qu'est-ce que modifie le décret ?
Comme l’explique la Direction générale de la Santé à LCI, "ce décret vient assouplir les conditions et modalités de prescription et de délivrance de certains médicaments utilisés dans le cadre de la prise en charge palliative."
Plus précisément, "il permet aux médecins d’accéder au Rivotril sous forme injectable via les pharmacies, détaille le Dr. Fabrice Michel. Jusqu'à présent seules les pharmacies hospitalières pouvaient le délivrer. Les médecins de ville peuvent également l'administrer aux patients. Enfin, son administration sera possible dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes qui disposent déjà d'une pharmacie à usage intérieur."
Quel est le lien entre le Rivotril et les soins palliatifs ?
Comme indiqué précédemment, le Rivotril a un usage sédatif. Sous forme injectable, son administration endort le patient et le soulage de ses douleurs. Une utilisation connue et maîtrisée dans le milieu palliatif. "Administrer du Rivotril à un patient ne veut pas dire arrêter les soins. Il s’agit, au contraire, lorsque la situation se dégrade et dans certaines circonstances d’un accompagnement pour soulager sa souffrance", explique Olivier Guérin dans le communiqué de la société de gériatrie.
"Ce médicament accompagne seulement la personne dans ses derniers instants en atténuant ses souffrances et en le plaçant en sédation profonde", précise pour sa part le Dr. Fabrice Michel. Élément important, le Rivotril est loin d'être systématiquement administré aux personnes en fin de vie. "Il est bien entendu hors de question de faire de la sédation sur des patients qui nécessiteraient une hospitalisation, ou en dehors d’une évaluation clinique rigoureuse avec une décision autant que possible partagée", précise encore Olivier Guérin.
Aucun assouplissement des règles de la fin de vie
"Il ne s’agit pas d’un assouplissement des modalités d’usage mais uniquement, de ses modalités de dispensation", explique la DGS à LCI. En d'autres termes : Non, ce décret ne permet aux médecins d'euthanasier les malades graves du virus. "Les médecins sont tenus de respecter le même protocole pour la prescription du Rivotril, y compris lorsqu’il est appliqué comme sédatif pour des patients en soin palliatif", ajoute le Dr Gavazzi.
"Aujourd’hui, on sait que la durée d’intubation pour les malades du Covid-19 est d’environ 21 jours. C’est une technique très invasive pour le patient, avec de nombreuses prises de sang et de nombreuses autres procédures de soins invasives potentiellement douloureuses. Cela peut entraîner d’importantes complications et des conséquences lourdes, explique encore le Dr Gavazzi. Oui, des personnes ne peuvent pas supporter ce protocole de soin et les médecins sont confrontés tous les jours à cette situation, Covid-19 ou non, y compris dans les Ehpad."
Pourquoi ce décret a été pris ?
"Le décret du 28 mars fait suite aux recommandations de la SFAP, explique le Dr. Morel. Nous avons publié le 23 mars une Fiche conseil urgence sanitaire pour la prise en charge des détresses respiratoires asphyxiques à domicile ou en Ehpad des patients atteints par le Covid-19.". Le Rivotril est évoqué au sein de ce document - parmi d’autres médicaments - et les doses recommandées ne sont pas létales.
"Cette Fiche, destinée aux médecins, a été publiée par la SFAP pour aider tous nos confrères sur le territoire qui se retrouveraient face à des patients en détresse respiratoire asphyxiques, poursuit le Dr. Morel. Tous les protocoles de soin y sont détaillés, en fonction des stades de la maladie et de l'état de la personne soignée. Une nouvelle version a été publiée le 31 mars en s'appuyant sur les retours de nos collègues de l'Est." Cette Fiche de conseils fait partie d'un ensemble de publication de la SFAP sur le coronavirus.
Enfin, donner l’accès au Rivotril en dehors des pharmacies hospitalières participe à une meilleure gestion du stock de ce médicament, les médecins n’étant pas obligés de se reporter sur les hôpitaux pour en prescrire.
De son côté, la DGS nous assure que "son accès sera couplé à un renfort de personnels pour en assurer la bonne utilisation. Nous avons pris ce décret pour poser un cadre juridique permettant de répondre à la demande des professionnels et ainsi assurer un accompagnement digne de certaines situations difficiles, dans le respect des recommandations de bonne pratique."
L'euthanasie reste strictement interdite en France
L'euthanasie active est et reste strictement interdite en France. Le décret du 28 mars ne change rien et seule une loi pourrait apporter une quelconque modification sur le sujet. "Il serait faux, mensonger et attentatoire de dire que ce décret légaliserait l’euthanasie auprès des patients âgés atteints du Covid-19", s'indigne Olivier Guérin dans le communiqué de la société française de gériatrie.
La fin de vie est encadrée par la loi Léonetti, un texte qui proscrit "l’obstination déraisonnable" du corps médical et la "prolongation artificielle de la vie", y compris lorsque ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté. Le médecin peut prendre le risque d’abréger la vie du patient en lui administrant une dose de soins palliatifs qu’il juge nécessaire à son confort.
"Une décision systématiquement collégiale, nous rappelle le Dr. Vincent Morel, et les familles restent toujours informées et associées. Tous les questionnements entre les équipes médicales sur le patient sont retranscrits dans le dossier du patient. La crise sanitaire du Covid-19 n'assouplit pas ce protocole, un cadre légal auquel tous les professionnels de santé sont soumis."
[Article écrit pour LCI et publié le 4 avril 2020]