ENQUÊTE – Mais où sont donc passés les masques FFP2 permettant de se protéger contre le virus du Covid-19 ? Selon Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, l'Etat n'a plus de stock stratégique en raison de décisions prises par ses prédécesseurs. LCI fait le point sur ce nouvel imbroglio en pleine épidémie de coronavirus.
[Article écrit pour LCI et publié le 21 mars 2020]
Partout, les témoignages des personnels soignants et des médecins de ville sont les mêmes : nous n'avons pas assez de masques pour travailler. Après avoir fait leurs fonds de tiroirs, les hôpitaux font face à de grandes difficultés pour équiper correctement l'ensemble des équipes. Ils manquent particulièrement de masques de type FFP2, de l'anglais filtering facepiece et que nous pourrions traduire par "pièce faciale filtrante". En forme de "bec de canard" et recouvrant le bas du visage, le FFP2 est considéré comme le plus protecteur contre le Covid-19.
Ainsi, d'après Olivier Véran, l'absence de stock de FFP2 serait due à des décisions passées. LCI a remonté le fil et vous explique tout sur la gestion des stocks stratégiques d'Etat en matière de masque.
Qui est chargé de la gestion des stocks de masques ?
Pour faciliter la gestion des stocks nationaux, la décision est prise de construire un immense hangar à Vitry-le-François (Marne) pour un coût de 33 millions d'euros. Le bâtiment accueille également des boîtes de Tamiflu, un médicament préventif contre les grippes, ou des combinaisons de protection.
En 2016, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé dissout les missions de l'Eprus au sein d'un nouvel établissement public : Santé Publique France. La gestion des stocks stratégiques de produits de santé et de médicaments est alors attribuée à l’Unité Etablissement pharmaceutique. La décision d’acquisition ou de renouvellement des stocks stratégiques appartient exclusivement au ministre chargé de la Santé, telle qu'énoncé dans l'article L. 1413-4 du code de la santé publique.
Combien de masques la France a-t-elle en réserve ?

Les différentes évaluation du stock de masques relevant du ministère de la Santé, 2009
Les chiffres précis les plus récents que LCI a pu obtenir sont les prévisions de 2012, d'après une note de la Direction générale de la santé (DGS) datant de février 2011. Il y avait dans les stocks d'Etat 600 millions de masques FFP2 et 800 millions de masques chirurgicaux.

D'après la DGS, en 2012 les stocks seraient constitués de 800 millions de masques chirurgicaux et de 600 millions de masques FFP2
Enfin en 2011, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a émis l'avis : "Stock - État de masques respiratoires - Utilisation et dimensionnement'. Il recommande une gestion tournante des stocks - en raison de la péremption des FFP2 - et demandent à ce qu’ils soient rapidement mobilisables pour "couvrir toutes les populations et les personnels soignants" en situation de crise. Toutefois, aucun chiffre minimum de FFP2 à détenir n'est préconisé.

Dès 2011, le HCSP recommande que les masques FFP2 soient rapidement distribués en cas de crise aux populations et aux personnels soignants
Où sont passés les masques FFP2 ?
Nous retrouvons effectivement la trace d'une nouvelle stratégie instaurée en 2013 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) - qui relève du Premier ministre - avec la publication d'une note intitulée : 'Doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire'. Désormais, le stock national géré par l’Eprus concerne uniquement les masques de protection chirurgicaux à l’attention des personnes malades et de leurs contacts, tandis que la constitution de stocks de masques de protection des personnels de santé - notamment les masques FFP2 pour certains actes à risques - sont à la charge des employeurs, publics ou privés.

La note de 2013 du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale change la doctrine concernant le stockage des masques
Deux ans après, en 2015, le Sénat publie un nouveau rapport sur le sujet : ‘L'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) : comment investir dans la sécurité sanitaire de nos concitoyens ?’. Il est clairement précisé, à propos des masques, que la décision a été prise "de ne pas renouveler certains stocks arrivant à péremption, par exemple, en raison de la plus grande disponibilité de certains produits et de leur commercialisation en officine de ville ou du transfert de la responsabilité de constituer certains stocks vers d'autres acteurs (par exemple, les établissements de santé et les établissements médico-sociaux pour les masques de protection FFP2 de leur personnel). [...] Du point de vue des finances publiques, [cela] permettrait également de réaliser des économies considérables en termes de coût d'achat, de stockage."

Un rapport du Sénat de 2015 explique que la constitution des stocks de masques FFP2 relève désormais des employeurs, publics ou privés
Pour résumer : l'Etat n'assure donc plus le stock de masques FFP2, mais uniquement de masques chirurgicaux. Le stockage des FFP2 relève des employeurs.
Pourquoi une telle décision a-t-elle été prise ?
Mais cette stratégie demande une anticipation... Alors ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn a répété plusieurs fois que tout était prêt pour faire face à l'arrivée du Covid-19 et s'appuyait alors sur des avis des scientifiques. Il a fallu attendre le 3 mars dernier pour qu'un décret de réquisition des stocks et de la production des masques jusqu’au 31 mai 2020 soit promulgué par le Premier ministre.
Les sénateurs avaient-ils vu juste dès 2015 ? Une phrase du rapport précité souligne, en effet, que la stratégie "comporte certaines difficultés liées aux priorités propres des laboratoires pharmaceutiques et à l'évaluation de leur capacité de production dans des délais très courts, dans un contexte où les ruptures d'approvisionnement en matières premières sont de plus en plus fréquentes."
[Article écrit pour LCI et publié le 21 mars 2020]