CORONAVIRUS - Professionnels ou amateurs, les couturières et les couturiers ont été les premiers à se mobiliser pour palier à la pénurie de masques dès le début de la crise sanitaire. La profession dénonce aujourd'hui un manque de considération au sein d'une pétition.
[Article écrit pour LCI et publié le 4 mai 2020]
Depuis le début de la crise sanitaire du coronavirus, des couturières et des couturiers, sans travail à cause du confinement, ont répondu présentes pour participer à l'effort de 'guerre' en produisant bénévolement des masques. Cette fabrication spontanée de protections en tissu, désormais appelées masques grand public, a permis à de nombreux Français de la "première" - infirmiers, aides-soignants - et de la "seconde ligne" - caissiers, éboueurs, agents des services publics - de travailler en ayant accès à une protection minimale.
Via une pétition déposée sur le site Change.org, le collectif Bas les Masques dénonce la situation dans laquelle se retrouvent de nombreuses couturières, travaillant sans rémunération depuis plusieurs semaines. Déposée le 28 avril, elle rassemble déjà plus de 12.000 signatures.
Leur effort collectif aujourd'hui dénigré
"Le collectif Bas les Masques a été créé pour dénoncer la situation difficile que traversent les ateliers de couture, nous explique Jackie Tadeoni, costumière à Paris. Partout à travers le pays, des professionnels de la couture, ainsi que des amateurs, se sont mobilisés pour protéger la population. Nous avons été sollicités par les infirmières libérales, les personnels des hôpitaux, des Ehpad, des salariés de supermarchés mais aussi des policiers, tous inquiets d'avoir à travailler sans protection." Si la co-porte-parole rappelle que personne ne regrette d'avoir participé à l'effort collectif, elle considère que le travail important des couturières se retrouve aujourd'hui dénigré.
Le Collectif dénonce le comportement de certaines municipalités, considéré comme abusif. "Partout à travers la France, des mairies ont demandé aux ateliers de couture de produire des protections, toujours bénévolement. Des espaces communs ont été mis à disposition pour que tout le monde puisse venir coudre. Or, aujourd'hui, nous voyons ces mêmes communes acheter des masques... Pourquoi ne pas avoir rémunéré toutes ces personnes qui ont offert de leur savoir-faire et de leur temps ou au moins prendre en charge le coût des matières premières ?"
Des couturières insultées
Jackie Tadeoni dénonce également les nombreuses insultes subies par les couturières. "De nombreuses personnes nous remontent les violentes critiques reçues lorsqu'elle demandaient un peu d'argent, ne serait-ce que pour l'achat des matières premières ou pour les frais de confection. Nous savons que nos collègues belges sont dans la même situation." Un problème qu'un reportage de la télévision nationale RTBF a d'aileurs évoqué.

De nombreuses couturières ont reçu des messages d'insultes sur les réseaux sociaux
Comme on peut le voir sur les captures d'écran que nous a fait parvenir la costumière parisienne, des inconnus n'hésitent pas à invectiver directement des couturières alors que la plupart d'entre elles ne demandent que quelques euros par masques. Très loin des prix affichés aujourd'hui dans les commerces qui commencent à vendre autour d'une dizaine d'euros l'unité en tissu.
"De grands fabricants souhaitent appliquer les mêmes tarifs pratiqués à l'étranger"
En plus de ces demandes de travail sans gratification, des industriels du textile ont sollicité des ateliers de couture pour confectionner des masques pour des tarifs extrêmement bas. Une situation qu'explique pour LCI Catherine Brun, modéliste-styliste à Saint-Jean-de-Bournay (Isère) et présidente de l'organisation professionnelle Unacac (Union nationale artisanale de la couture et des activités connexes). "De grands fabricants, qui travaillent habituellement avec la Tunisie par exemple, souhaitaient appliquer les mêmes tarifs pratiqués à l'étranger pour des masques fabriqués ici, parfois à 0,40 euro l'unité ! Je sais que certaines couturières ont accepté faute de pouvoir ouvrir leur boutique à cause du confinement. Mais ces prix ne couvrent même pas les charges".
La styliste craint également que le petit marché des masques en tissu occupé aujourd'hui par des ateliers de confection français ne disparaisse rapidement avec l'arrivée des protections fabriquées à grande échelle à l'autre bout du monde, notamment des masques chirurgicaux vendus en supermarché. "L'industrialisation va prendre le pas et j'ai peur que l'on préfère acheter des masques jetables plutôt qu'en tissu. Alors que ces derniers sont réutilisables et donc plus écologiques."
Le collectif Bas les Masques craint également que la généralisation du port du masque ne se fasse au détriment des petits artisans. "Alors qu'on nous parle sans cesse du monde d'après le confinement où nous devrions consommer plus localement et d'une manière plus raisonnable, j'ai bien peur qu'on se retrouve avec des masques en tissus produits loin de chez nous", s'inquiète Jackie Tadeoni. "Il faudrait produire et vendre localement, en petit réseau. Sans oublier que les ateliers n'auront pas les moyens de réaliser toutes les démarches pour se faire homologuer." L'espoir de ce collectif d'environ 1000 couturières ? Que l'achat d'un masque devienne un acte citoyen, qui restera de toute façon entre les mains des consommateurs.
[Article écrit pour LCI et publié le 4 mai 2020]