PESTICIDES – Invitée de LCI, la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, a présenté des photographies de champs de blé et de betteraves bordés de fleurs. La preuve selon elle de la précision des traitements aux pesticides dans les cultures, à 10 centimètres près. Mais d'où proviennent ces clichés ?
[Enquête réalisée pour LCI et publiée le 10 septembre 2019]
D'où viennent les photos ?
Afin de tenter de déterminer l'origine de ces images, nous avons d'abord interrogé directement Christiane Lambert. "Non, elles ne proviennent de Monsanto ! Je les ai imprimées la veille du débat sur LCI", nous répond-elle, affirmant qu'il s'agit de photos prises par "un agriculteur de l'Aisne, un passionné de biodiversité". La patronne de la FNSEA assure en avoir trouvé d'autres où l'on peut voir des abeilles butiner en bordure de ces champs.
Nous avons ensuite remonté la piste de cet agriculteur. Il s'agit d'Hubert Compère, à la tête d'une exploitation de 170 hectares à Mesbrecourt-Richecourt. Il nous confirme la date de prise des clichés et nous explique leur contexte. "Il s'agit d'images de mes cultures. La photo du champ de blé date de juin 2018 et celle du champ de betteraves d'il y a moins de deux mois." Si aujourd'hui le blé a été coupé, les betteraves sont, elles, encore là, tout comme les fleurs attenantes. Hubert Compère nous a envoyé une photo récente de ces fleurs violettes, toujours bien en place entre son champ et la haie.
Des fleurs peuvent-elles pousser près d'un champ traité ?
Petite particularité, et non des moindres, Hubert Compère est engagé au sein des fermes Déphy, un réseau d'exploitations agricoles inscrites dans une démarche volontaire de réduction de l’usage de pesticides. Son utilisation de produits phytosanitaires est donc moindre que la majorité de ses confrères, ce qui facilite le développement des fleurs adjacentes.
Autre signe distinctif de cette exploitation de l'Aisne, son propriétaire souhaite y maintenir une population d'insectes, ce qui l'oblige à préserver les plantes, sans lesquelles la vie des insectes est impossible, ceux-ci se nourrissant de leur nectar et de leur pollen. "Je travaille avec l'aide d'un entomologiste pour m'aider à utiliser au mieux les insectes auxiliaires, prédateurs naturels des insectes parasites", précise Hubert Compère. À noter d'ailleurs que les champs photographiés ne sont, selon l'agriculteur, plus traités aux insecticides conventionnels depuis plusieurs années. De quoi là-encore favoriser la pousse de fleurs.
Les épandages peuvent-ils être précis à 10 centimètres ?
Demeure la question de la précision. Est-il vraiment possible de maîtriser les épandage de produits phytosanitaires à 10 centimètres près ? Pour Christiane Lambert, les photos en sont la preuve incontestable. "Quand je fais de la peinture, je mets des scotchs pour ne pas dépasser. Un agriculteur règle quant à lui sa machine pour éviter de traiter à côté", fait-elle valoir.
Selon un constructeur français de pulvérisateurs que nous avons contacté, une précision de 10 centimètres est en effet possible mais dépend de nombreux facteurs, comme le vent, l'humidité, la température extérieure ou encore la modernité du dispositif. "Aujourd'hui, nous produisons des buses avec une injection d'air. Cela alourdit la gouttelette du produit phytosanitaire et entraîne moins de pertes. Mais les machines peuvent mesurer une trentaine de mètre de large. 10 centimètres, c'est donc de la très haute précision." Difficile dès lors de généraliser.
Seules des analyses de ces fleurs et de la terre pourraient permettre de mesurer l'importance des traces laissées
Nous avons demandé l'avis d'un autre agriculteur, de l'Ain cette-fois, à qui nous avons envoyé les photos de la FNSEA. Selon lui, "impossible d'affirmer que les pesticides ne laissent aucune marque à 10 centimètres près". Formel, il poursuit : "Seules des analyses de ces fleurs et de la terre pourraient permettre de mesurer l'importance des traces laissées."
"Des fleurs peuvent très bien pousser près d'un champ de blé en juin", détaille-t-il, ajoutant que "les dernières applications d'herbicides ont lieu bien plus tôt dans l'année".
Et de fait, Hubert Compère confirme : son blé a été traité aux herbicides contre les chardons et liserons à l'automne - au moment de la plantation - puis au printemps, jusqu'en mai. Serait-ce alors l'explication de la pousse de fleurs à proximité immédiate de ses champs ? Pas forcément selon lui. Rappelant que la loi lui interdit de toute façon de traiter quand le vent souffle à plus de 19 km/h, l'Axonais préfère ainsi y voir la (très) haute précision de ses buses d'épandage.
[Enquête réalisée pour LCI et publiée le 10 septembre 2019]