ENVIRONNEMENT - Ces derniers temps, une proposition d'interdire les vols intérieurs afin de réduire la pollution a agité le débat politique. En guise de contre-arguments, nombre de défenseurs du transport aérien avaient pointé du doigt un autre type de pollution : celle générée par l'activité numérique. Qu'en est-il réellement ? Eléments de réponse.
[Enquête réalisée pour LCI et publiée le 24 juin 2019]
Lorsque nous nous étions penchés, ces derniers jours, sur la proposition de supprimer les vols intérieurs, les différents représentants du secteur de l'aviation que nous avions interrogés nous ont quasiment tous affirmé la même chose : tout le monde se focalise sur le transport aérien alors que les activités numériques polluent beaucoup plus. Une affirmation qui nous a interrogés : quel est le poids réel de nos activités numériques pour la santé de la planète ? Nos réponses à quelques questions.
Le numérique pollue-t-il plus que les avions ?
Nos activités numériques, sont-elles plus polluantes que tous les trajets en avion ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, la réponse semble oui. En tout cas, concernant les émissions de gaz à effet de serre. Cette affirmation provient d'une étude publiée en octobre 2018 par The Shift Project, une association française qui vise la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. D'après ces travaux, la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a augmenté de moitié depuis 2013, passant de 2,5 % à 3,7 % du total des émissions mondiales. Selon un chiffre communément accepté, le transport aérien est lui responsable de 2% à 2,5% des émissions de gaz à effet de serre, prenant en compte le fait que le nombre de passagers est passé de 1,7 milliard en 2000 à 4 milliards en 2018, d'après la Banque mondiale.
Internet est-il le 3e 'pays' le plus énergivore de la planète ?
Une information surprenante, mais vraie : si Internet était un pays, il serait le troisième pays de la planète en terme de consommation d'électricité, juste derrière la Chine et les Etats-Unis. A lui seul, Internet représente 7 à 10% de l’énergie dépensée en électricité dans le monde. Une électricité loin d'être verte.
La France n'échappe pas à ce phénomène, même si - nucléaire et renouvelables oblige - la production électrique émet peu de gaz à effet de serre. Nous avons contacté RTE, (Réseau de transport d'électricité), entreprise de service public, est chargée du transport d’électricité en France métropolitaine. D'après leurs chiffres, les activités numériques des Français consomment aujourd’hui environ 40 TWh par an soit près de 10% de la consommation d’électricité du pays. "Ce qui est l’équivalent du chauffage électrique des ménages ou de la région Nouvelle-Aquitaine", nous précise RTE. Autre chiffre éloquent, "les data centers utilisent 25% de l'électricité mobilisée pour le numérique."
Avec une telle consommation, le numérique va-t-il provoquer un black out dans notre pays, c'est-à-dire un risque de coupures conséquentes de courant ? L'Ademe estime la croissance de la consommation d'électricité de ce secteur est de à +7% par an. De son côté, le site Décrypter l'Energie a calculé que le numérique mobilisait "l’équivalent de huit réacteurs nucléaires." Pourtant, l'entreprise RTE se veut rassurante. "Si les usages numériques se développent, nous ne prévoyons pas d’augmentation de la consommation électrique française dans les années à venir."
Vers un sobriété du numérique ?
Faut-il arrêter d'envoyer des emails ou regarder des films en ligne pour sauver la planète ? Des solutions moins radicales existent. Pour Maxime Efoui-Hess, coauteur de l'étude pour The Shift Project, il est urgent de mettre en place "une stratégie d'allocation des ressources" pour effectuer un "arbitrage de l'utilité sociétale" dans le développement de telle ou telle activité numérique.
"A titre entièrement personnel, je préférerais par exemple allouer des ressources aux méthodes d’assistance numérique médicale plutôt qu’à la production des chaussettes connectées qui permettent de mettre en pause notre épisode de Netflix lorsque l’on s’endort." Si cette réponse peut paraître ironique, elle cache en réalité une vraie réflexion sur la mobilisation des ressources. L'impact climatique du numérique est bien réel, il ne s'agit pas d'un cloud.
Une réflexion que partage Anne-Cécile Orgerie, chercheuse au CNRS. "Les bénéfices des améliorations des nouvelles technologies sont rapidement effacés par les 'effets rebonds' qui conduisent à une augmentation de l’utilisation du numérique". Elle s'appuie notamment sur l'exemple des objets connectés. "La multiplication des objets intelligents s'effectue sans une quantification préalable de la consommation énergétique de ces équipements." Ainsi, toujours plus de connectivité entraîne toujours plus de consommation d'énergie et d'électricité. Une forme de fuite en avant.
[Enquête réalisée pour LCI et publiée le 24 juin 2019]