[Enquête publiée dans Le Journal du Bugey - n°861 du 12 au 18 avril 2018]
331 tonnes ! C’est le volume de pesticides vendus dans l’Ain en 2016*. Ce qui place le département de l'Ain à la cinquième position en Auvergne Rhône Alpes. Il s’agit d’une descente dans le classement régional, après avoir été dans le top 3 entre 2013 et 2015. La météo calamiteuse avait alors entraîné une hausse des traitements. Les agriculteurs de l’Ain auraient-ils une consommation plus raisonnée de pesticides ?
La baisse de l’usage des pesticides ces trois dernières années est, certes, une bonne nouvelle, mais en demi-teinte. En 2008, le gouvernement lançait le plan Ecophyto avec comme objectif la réduction « de 50% l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans un délai de 10 ans, si possible ». Or les derniers chiffres connus sont de 331 tonnes en 2016. Soit une baisse de seulement 3,5% par rapport à 2008. Comme le prévoyait déjà le texte, il ne sera donc pas « possible » d’atteindre l’objectif de moins 50% d’ici la fin de l’année. Découvrez les données ici.
Pour l'ensemble du pays en 2016, 68 414 tonnes de pesticides étaient vendues en France. Le pic a été atteint en 2014 avec 76 341 tonnes. Les départements qui consomment le plus de pesticides sont en 2016 l’Aube (2 8899 tonnes), la Marne (2 835 tonnes) et la Gironde (2 798 tonnes).
Le glyphosate numéro 1 !
Le glyphosate reste de loin la star des ventes. En 2016, 71 tonnes ont été écoulées dans l’Ain, soit 21% du total des ventes de pesticides. Ce chiffre a même atteint 101 tonnes en 2012 et 120 tonnes en 2013. Et en novembre dernier, l’Union européenne a renouvelé pour 5 ans l’autorisation du glyphosate, pourtant considéré comme cancérigène par l’Organisation mondiale de la Santé. La France prévoit son interdiction d’ici trois ans. Un projet de loi est actuellement en discussion au Parlement afin d’entériner cette interdiction. Le futur texte instaurait également un fond d'indemnisation des victimes des produits phytosanitaires et aussi une meilleure définition des néonicotinoïdes, ces pesticides qui attaquent le système nerveux des insectes et désorientent les abeilles. L’interdiction, sous certaines conditions, des néonicotinoïdes est prévue en septembre 2018. Pour prendre quelques exemples dans l’Ain de ces insecticides, en 2016 ont été vendues 270 kilos de thiaméthoxame, 270 kilos de thiaclopride et surtout plus de 2 tonnes d’imidaclopride.
Egalement, on retrouve dans l'Ain des substances particulièrement dangereuses comme le folpel, un fongicide cancérigène probable, dont 1 tonne a été écoulée en 2016. Mais aussi des produits nuisibles aux fœtus, avec par exemple deux tonnes de tébuconazole, un insecticide, ou encore 730 kilos de cyproconazole, un fongicide pour l’orge et le blé. On peut également citer le chlorpyriphos-éthyl, un insecticide neurotoxique considéré comme nuisible pour l’homme, dont une tonne a été vendue en 2016.
Vers une agriculture sans pesticides ?
Face au danger, peut-on se passer des pesticides ? Pour Flora Ogeron, agent à la Chambre d’agriculture de l’Ain, la réponse se trouve déjà dans une agriculture raisonnée. Cette jeune ingénieure agronome anime depuis 2014 un réseau de quinze fermes Dephy, toutes volontaires pour réduire leur usage des produits phytosanitaires. « Aujourd’hui, ce réseau couvre au moins 3 000 hectares, avec notamment deux fermes bio, bientôt trois, et un lycée agricole. Ces exploitations s’étendent d’Ambronay au nord, à Saint-Vulbas et Loyettes au sud, jusqu’à Misérieux, en bord de Saône à l’ouest. « L’objectif est de tester sur ces fermes de meilleures pratiques agricoles comme la rotation des cultures, l’usage de produits de biocontrôle et surtout moins de pesticides. »
D’après la Chambre d’agriculture, les résultats sont là. « Non seulement il n’y a pas eu de baisse de rendement pour les champs moins traités mais les agriculteurs ont réalisé des économies », s’enthousiasme Flora Ogeron. Elle tient à rappeler que les pesticides coûtent chers, « c’est un coût important pour les exploitations et demandent du temps de travail pour être épandus. Je ne connais aucun agriculteur qui utilise des produits chimiques par plaisir. Et l’objectif de ce programme n’est pas d’arriver à zéro pesticide. Ça, c’est un choix de chaque agriculteur. Je les encourage à rationaliser au maximum l’usage des produits. »
Jérôme Martin, élu à Chambre d’agriculture de l’Ain et vice-président de la FNSEA, syndicat agricole majoritaire dans le pays, sur le canton d’Ambérieu-en-Bugey – Lagnieu, est membre de ce réseau de fermes. Il est surtout séduit par le dialogue avec ses collègues. « Nous échangeons sur toutes nos pratiques agricoles. Des visites d’exploitation sont aussi organisées et j’apprends beaucoup. Nos fermes deviennent des lieux ouverts. Mon père est à la retraite l’année prochaine. Ces dernières années il a vu son métier changer comme jamais. Il y a une vraie remise en cause de nos pratiques ».
Mais bien que se trouvant plus sensible qu’avant au bon usage des pesticides, Jérôme Martin reste dubitatif sur le discours anti-pesticides, notamment sur l’interdiction du glyphosate. « Au lieu d’utiliser une seule substance pour désherber, je vais devoir quatre. Je ne suis pas certain que ce soit meilleur pour l’environnement. Moi je fais confiance à l’Etat et aux revendeurs. Si les substances sont autorisées sur le marché, je continuerai de les utiliser ».
Depuis 2015, tous les agriculteurs doivent suivre une formation, Certiphyto, de sensibilisation à l’usage des produits phytosanitaires et à leur réduction. Les revendeurs, comme les coopératives agricoles, sont également tenus par cette obligation.
Un secteur bio encore limité
Aujourd’hui, seulement 4,5% de la surface agricole du département de l’Ain est bio, soit 10 689 hectares. La marge est donc importante, d’autant que la demande est bien là. La France a enregistré un déficit commercial d’1 milliard d'euros en produits de bio l’an dernier !
A Montluel, l’AMAP – Association pour le Maintien d'une Agriculture de Proximité – propose aux adhérents une alimentation locale sans pesticides chimique. L’association fournit toutes les semaines des fruits et légumes bio à plus de soixante-dix familles. Stanislas Paliard, membre de l’association, explique que l’AMAP a parfois du mal à trouver assez de producteurs. « Une quinzaine d’agriculteurs travaillent avec nous, mais nous avons des difficultés à satisfaire toutes les demandes. Aujourd’hui, les adhérents à l’AMAP viennent récupérer leur panier tous les vendredis. L’idéal serait d’avoir un magasin permanent et il ne manquerait pas de clients. Mais nous refusons de vendre des produits bio provenant de trop loin, ou même de l’étranger. Une contradiction avec le bio et l’agriculture de proximité ».
Face aux risques pour l’environnement et la santé, Jean-Christophe Pellerin, viticulteur dans le Bugey à Saint-Sorlin-en-Bugey a choisi de sortir des pesticides. « En 2007, j’ai suivi une formation sur les plantes qui soignent la vigne. Je me souviens avoir pris une claque dès le premier jour ». C’est dès l’année suivante, en 2008, qu’il se lance dans le bio. « Finalement je m’ennuyais avec la culture conventionnelle, c’était très répétitif. Après 10 ans en bio j’apprends tous les jours et chaque récolte est différente car je dois m’adapter au climat, à l’ensoleillement, à la pluie, au sol. J’ai dû entièrement repenser la plantation de ma vigne pour permettre le binage entre les rangs. Je choisis également des cépages moins sensibles aux maladies ».
Convertir sa vigne en bio dès 2008 dans le Bugey était plutôt insolite. « Au départ, on me regardait avec curiosité. Puis petit à petit des collègues sont venus me demander des conseils », explique Jean-Christophe Pellerin. Car l’agriculture bio fonctionne avant tout sur l’échange et le partage de connaissance. Les agriculteurs le reconnaissent : des savoirs ont été perdu. « Le passage au bio oblige les exploitants à remettre en cause des années de pratiques conventionnelles et ce n’est pas toujours facile de l’accepter ».
En 2017, le Domaine Pellerin a produit 12 500 litres de vin. Des rendements identiques avant son passage au bio. « Beaucoup d’agriculteurs ont le sentiment d’avoir été dupés avec les pratiques conventionnelles. On pensait utiliser des pesticides pour produire mieux et plus. Or, on arrive tout à fait à en réduire la quantité ou même les supprimer de nos champs sans baisser nos rendements. » Un sentiment également partagé par les agriculteurs conventionnels. « L’an dernier je n’ai pas appliqué de fongicide sur mon blé car la météo était très bonne, et souvent je réduis les doses épandues » explique Jérôme Martin. Les coopératives agricoles qui distribuent les pesticides sur le territoire recommandent elles aussi des concentrations moins élevées des substances que celles conseillées par les fabricants.
Alors pourquoi l’environnement a-t-il eu à supporter de telles doses de produits chimiques ? Les conséquences sur la faune et la flore des campagnes sont importantes. Les agriculteurs rencontrés et professionnels du secteur refusent de porter seuls cette responsabilité. Elle pèse aussi sur les épaules de ceux que l’on ne voit pas, les industries qui ont encouragé l’agriculture intensive. Malheureusement, ce constat ne peut rattraper le demi-siècle d’agriculture irraisonnée. Des pesticides interdits, comme l’atrazine interdite depuis 2003, sont toujours présents dans l’eau des rivières et des nappes phréatiques.
*Source : BNVD, Banque Nationale des Ventes pour les Distributeurs de pesticides, ministère de l’Agriculture. Les données sont publiques de 2008 à 2016.
[Enquête publiée dans Le Journal du Bugey - n°861 du 12 au 18 avril 2018]